Source d'inspiration pour dessiner.

Il y a un petit mois j'ai reçu un mail surprenant. Quelqu'un que je n'ai jamais rencontré et jamais tatoué me rédige une longue lettre pour me dire merci! Son message est transpirant d'allégresse et je ne peux que poursuivre la conversation pour essayer de comprendre d'où vient cette joie...et après quelques mails c'est moi qui dis merci! 

Merci d'avoir pris le temps de me dire ce que mon travail pouvait t'apporter, même de loin. Merci pour la générosité de tes mots, nous sommes dans un cercle vertueux qui s'agrandit.

Et là vous allez comprendre le dessin qui accompagne l'article car notre échange m'a donné accès à une histoire émotionnellement complexe mais racontée simplement. C'est cette accessibilité qui m’intéresse et qui me stimule pour créer. Je ne veux pas compliquer ce qui est simple pour meubler...

Et c'est donc avec l'autorisation de Marion que vous pouvez lire cette histoire:

"Il est assis, un peu voûté, un peu cassé, beaucoup fatigué, complètement essoufflé. Mutique. Moi je le regarde, je lui parle doucement, je fais des gestes lents, j'ai peur de l'effrayer si je suis trop brusque. Ce yaourt, il faudrait qu'il le mange : il refuse toute autre nourriture posée sur son plateau, et je vois bien qu'il aimerait que je parte. Je le dérange dans sa solitude, il n'est déjà plus vraiment avec moi. Cuillerée par cuillerée, comme nous gravirions une montagne, nous partons à l’ascension du mont lacté. En fait non, ça serait plutôt de la spéléologie : nous nous enfonçons dans la grotte sucrée, de plus en plus profondément, de plus en plus péniblement. Les pauses se font de plus en plus régulières, de plus en plus longues. Le temps s'étire dans la chambre d'hôpital où nous n'entendons même plus le bruit de la télévision que j'ai muselée. Il ne me regarde pas, il est concentré : difficile de contrôler son souffle quand celui-ci s'apparente à un étalon sauvage qui s'emballe à la moindre alerte. Dès lors, comment obtenir l’apnée nécessaire à une bonne déglutition ? Comment aligner quelques mots de manière assurée et distincte ? Je ne le sais pas, et lui non plus : il sent bien qu'il est en train de perdre le combat. Résignation. Je repose la cuillère pour qu'il ne se sente pas trop pressé, et c'est là que je la remarque. Elle est plutôt discrète, presque timide, prête à perler de son œil, ce qu'elle finit par faire mollement. Il n'essaie même pas d'essuyer cette unique goutte qui me fascine, elle dégringole infiniment, chargée de tout le désespoir, de tout l'épuisement possibles, larme qui dormait depuis 91 ans et que je n'en finis pas de fixer. Tant de sentiments en si peu de liquide. Je lâche silencieusement la cuillère qui trouve sa place dans le pot de yaourt à moitié plein, et cherche à croiser le regard à moitié vide, en vain. Après que l'éternité se soit écoulée, Monsieur évacue enfin ce trop plein d'eau salée d'un geste lourd : je me lève alors et lui annonce mon départ, nous allons en rester là pour aujourd'hui . Monsieur sourit, de manière presque énigmatique, un peu lointaine encore, mais soulagée. Monsieur est au-dessus de tout ça, de l'hôpital, des comptes-rendus, des yaourts aromatisés à la pêche, de la télévision qu'il n'entendra pas plus quand j'aurai remis le son. Monsieur rit à l'une de mes blagues et je reconnais cet amusement poli, presque forcé, des vivants qui sont fatigués de l'être, des vivants qui ne le restent que pour en soulager d'autres, des vivants qui sont déjà ailleurs, des vivants que la médecine moderne ne laisse pas partir. 

Demain j'essaierai une compote".

Larme                                                                                                                 par Marion.B







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