Envisager le tatouage en confinement




Envisager le tatouage en confinement

Ou comment revoir sa façon de vivre et de travailler quand on est tatoueur en 2020 .


(lecture audio de l'article : 8 minutes)



Après mon post du 5 mars 2020 où je m’étais astreint à ne pas consommer plus de 20 minutes par jour de Facebook et d’Instagram, je n’imaginais pas que j’allais replonger intentionnellement et massivement sur cette partie de la toile, avec un retour quotidien de quasiment 2 heures. Mais au bout de quelques jours, je dois avouer que Facebook ne compense pas l’isolement qui pèse sur ma vie de tatoueur intime. Mon objectif étant de maximiser chaque rencontre… Je perds bien au change avec les partages de news absurdes et non vérifiées qui prolifèrent aussi vite que « le maudit virus ». La prolifération de fakenews est à l’image des rouleaux de papier toilette dans le Caddie du voisin : on finit par ne plus voir que cela. D’ailleurs, j’ai une théorie sur le fait que les gens se soient jetés sur le papier toilette avec un tel engouement. La voici : en entrant dans un magasin pour faire ses courses, on croise et on voit toutes ces personnes qui sortent avec des tonnes de papier toilette. Pourtant, quand on rentre c’est surtout les rayons de pâtes dévalisés qui comptent. Habituellement, quand on fait ses courses on ne remarque pas quand une personne met dans son panier une boîte de thon ou une plaquette de beurre, mais on remarque quand une personne achète un paquet de papier toilette car c’est bien plus volumineux et cela renvoie à l’intime. Et tu le remarques d’autant plus quand c’est ton premier crush que tu croises avec ce paquet sous le bras. Alors, en période de confinement, imaginez que chaque personne double ses achats quotidiens… Personne ne remarquera les deux boîtes de thon ou les deux paquets de pâtes, mais tout le monde vous remarquera avec vos 32 rouleaux triple épaisseur.

D’ailleurs, je félicite ma famille qui n’a utilisé que 6 rouleaux en l’espace de 14 jours de confinement. Quand je fais le calcul et que je vois ce qu’il faut acheter comme nourriture pour consommer autant de papier toilette, j’en déduis que certains sont effectivement bien malades.

Rassurez-vous, je ne vais pas consacrer cette « prise de parole » uniquement au papier toilette. Depuis le confinement, je suis retourné faire des lives sur Instagram tous les jeudis soirs à 22h22 pour parler de choses lambda et surtout passer un moment avec VOUS ! Et on pourra continuer de parler de PQ si c’est ce qui vous branche. Mais ici et maintenant, j’aimerais plutôt vous parler de tatouage ! 

En tant que tatoueur, comment se concentrer sur autre chose que l'hygiène et la salubrité pour rester dans l’actualité ? Comment l’utiliser pour réussir à parler d'autre chose qui ne soit pas pathétique ou de l’ordre d’un divertissement jetable ? Aujourd’hui, pendant le confinement, être tatoueur, ça pue ! Avec ce qui arrive actuellement dans tous les pays du monde et en vue des potentielles rechutes, nous sommes partis pour 6 mois sans tatouage, si on n’intègre pas davantage de civisme sanitaire. En fait, j’écris cela mais je n’en ai pas la certitude. Je ne fais que réagir à mes interprétations de l’Agence France Presse (AFP) ou encore de Courrier International. Le tout saupoudré de croyances scientifiques et de vidéos de zététiciens circulant sur Youtube pour finalement slalomer entre les rouleaux de PQ imprimés « FAKE ».

« C’est curieux, en temps de confinement, pour les tatoueurs, il reste le Sopalin. »




Ces temps-ci, il m’est difficile d’aborder le tatouage avec légèreté. Même si je soigne mes images, je ne suis pas un esthète. J’ai depuis des années du mal à me projeter dans la quête du beau et l’absence de sens quand je veux m’écouter et bien faire. Je n’ai aucune motivation intérieure dans la quête de la réalisation ou de la reproduction du « beau » qui fait l’unanimité. Je sais m’appliquer, mais je n’excelle pas et cela me coûte vraiment.

Je me prépare effectivement à ne plus être tatoueur à plein temps. Je pense que la crise sanitaire que nous traversons va mettre à genoux une bonne partie des « gens du métier » et je ne suis psychologiquement pas prêt à me laisser mourir à petit feu en cassant les prix de ma pratique. Je ne peux pas tatouer pour survivre. Car j’imagine qu’avec le couteau sous la gorge, c’est ce qui peut arriver à ceux qui ne feront pas preuve de résilience.

En écrivant ces lignes, je crains que l’on me trouve noir et pessimiste. Je ne le suis pas. J’essaie d’être réaliste et d’imaginer, sans me mentir, ce qui peut se produire « après », quand et comment nous ressortirons de ce tunnel dans lequel vient d’entrer l’humanité. J’essaye de comprendre ce à quoi je dois m’attendre au cas où la société à laquelle j'appartiens - et dans laquelle j'interviens à une échelle microscopique - ne se relève pas de ses erreurs et de son manque de civisme. La peur, l’ignorance et les certitudes m’agacent… tout comme les quelques tatoueurs qui ont trouvé le moyen de tatouer en dépit de l’interdiction et l’ordre du chef de la nation. Non, je ne suis pas un fidèle de Macron, mais j'obéis quand des lois sont mises en place pour la sécurité collective. Je me dis que même si le virus du Covid-19 nous dépasse, un civisme plus important aurait évité un tel blocage de notre monde. J’ai la haine que l’on soit toujours obligé d’avoir le nez dans la merde pour prendre à retardement des mesures et se discipliner. Je regrette que l’ignorance soit toujours accompagnée de certitudes. Je regrette que malgré les efforts de certains, la balance en pousse d’autre à vouloir tirer individuellement leur épingle du jeu, alors qu’un effort collectif apporterait plus de résultats pour toutes les classes sociales. Car les plus démunis vont vraiment ramasser et on ne peut pas leur reprocher d’être dehors.
C’est comme le vaccin, et j’ai honte de le dire maintenant alors que je ne suis pas vacciné contre la grippe, mais le vaccin est un acte citoyen. Faites-le pour vous si vous en avez la possibilité, faites-le car vous protégerez les personnes les plus faibles que vous croiserez et qui ne peuvent pas se permettre cette médecine. Ne soyez pas le véhicule du poison !

J’ai en fait l’espoir que le mal survenu « à la fin de l’hiver 2020 » - mais je sais combien cela reste utopique - nous ramène à une vie à la fois plus sobre, plus modérée, plus raisonnable, mais aussi plus intense ; une vie dans laquelle le tatouage deviendrait pour le plus grand nombre une célébration que l’on prépare davantage et qui nous coûte. Et non un tatouage que l’on cale random, que l’on fait à la va-vite entre midi et deux le lendemain de la prise de rendez-vous selon une technique douteuse mais à un prix dérisoire, défiant toute concurrence… de faire pire. Il y a des choses que l’on subit par précipitation, par incapacité à se discipliner et tenir un rythme alors que l’on pourrait relâcher la pression et se préparer à mieux vivre. 
Je m’explique, je crois qu’il faut s’imposer des rituels pour vraiment apprécier les choses. Je crois qu’il faut attendre l’heure pour préparer le repas qui va nous réunir et mettre la table ensemble. Je crois qu’il faut s'asseoir à table, couper la radio, les médias et autres pollutions sonores pour savourer le dernier Kookie de la boîte. Je crois qu’il faut mettre le prix pour consommer moins mais mieux et au final être gagnant en prenant le temps de vivre les choses pleinement, sobrement mais avec intensité, avec attention. 


Extrait vidéo du film Ed Wood - Tim Burton - 1994 : Béla Lugosi et une fleure.


Je m’attends à avoir moins de demandes à l’issue du confinement et je m’attends à ce que certains projets engagés ne puissent s’achever que dans quelques années. Moi qui ai la chance de disposer de mon atelier à mon domicile et de pouvoir me tatouer, je n’ai pas pour autant l’intention de me recouvrir le corps, juste pour faire de l’actualité « en attendant ». J’ai bien un projet qui était prévu pour le 5 mai 2020 et je vais le réaliser sur mon corps, à défaut du tien, Léa. Cela fait un moment que j’attends cette date et je vous engage à l’enregistrer…
Il faut avouer que ce n’est vraiment pas le moment de prendre des risques sanitaires si l’on veut vivre l'après. Car vu ce que l’on vit, à l’image du bol de céréales que je mangeais le jour du 11 septembre 2001, le premier tatouage que l’on fera après le grand confinement aura forcément une place indélébile dans notre mémoire et là je parle autant pour les tatoueurs que pour les tatoués. 
Du coup, dis-moi en commentaire, quelle est la première chose que tu te ferais tatouer après le confinement ? 

3 commentaires:

  1. C'est intéressant, tout ça.
    Aujourd'hui, le confinement ne "m'atteint" pas.
    Je vis loin de ma famille, donc je ne la vois pas moins, au contraire, les communications sont un peu plus régulières.
    Je sors d'habitude peu, et pour le nécessaire. Aller boire un verre au pub est en soi une extra-ordinarité dans ma vie, ne pas le faire est donc... Ordinaire.

    J'ai la chance d'avoir un grand jardin, au printemps. Ça occupe, les mains, l'esprit, et je vis donc un quotidien plus agréable qu'auparavant, puisque je peux également travailler de chez moi, sans avoir à croiser de collègues.

    Je suis, en somme,le privilégié par excellence : non seulement la situation ne me touche pas, mais en plus elle me convient et me fait du bien.

    Pour ce qui arrive après... J'ai pris cette habitude de voir "après" plus tard. Aujourd'hui, je ne sais même pas quand sera cet "après", alors savoir de quoi il sera fait me semble plus qu'utopique... Peut-être que je me prendrai un boomerang sur le travers du nez, et que ça fera mal, mais est-ce nécessaire (encore une fois, dans ma situation confortable et molletonnée)de me faire du mal par anticipation ?
    Je préfère cueillir une rose et apprécier son odeur...

    Pour répondre à la question que tu pose, le tatouage que je me ferais faire, en sortant, sera celui que j'aurai fait faire hier. Soit une blague, soit un pas de plus dans ma reconstruction.

    Et toi, tu voudrais tatouer quoi ? De l'espoir ? Du cynisme ? Quelque chose qui n'a rien à voir avec tout ce qui vient de se passer ?

    Kaourik

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    1. Il me semble évident que ton lieu de vie est un fantasme que les citadins comme moi ont oubliés un temps. Mais là ...

      Je n'arrive pas à savoir comment prendre en considération ce qui se passe pour me faire tatouer à la sortie du confinement. En vrai tout de suite je me concentre sur ce que je vais me faire pour le 5 mai, pendant le confinement. C'est effectivement lié au moment d'introspection forcée auquel on est obligé d'assister.

      J'ai tout de même envie de travailler sur des basiques, des informations qui "méritent" un le support hors normes (nos corps). Je vais continuer de tatouer ce qui fait vivre les gens mais peut-être aussi ce qui peut les faire survivre.

      Au plaisir de te lire ici encore.

      Olivier

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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